Tribune dans Le Spectacle du Monde

Le nucléaire français au défi du quitte ou double

Tribune parue dans Le Spectacle du Monde, le 13 juin 2024

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[...] en 2024, la France n’est plus à la croisée de chemins, elle doit franchir le gouffre qui la sépare de son avenir énergétique.
La question, qui doit guider la stratégie, n’est pas de choisir entre SMR ou EPR trop longtemps attendus pour la jouvence du parc et les besoins industriels décarbonés. La question est celle de la ressource indispensable à l’approvisionnement électronucléaire de notre pays. Elle nous renvoie à l’urgence de renouer avec la stratégie française désormais abandonnée du « nucléaire durable », où la France fut pionnière.
Cette réorientation est devenue la clé de notre avenir énergétique. A défaut, le nucléaire actuel périclitera avec l’épuisement des réserves d’uranium fissile récupérables dans la croûte terrestre.

[...] L’éthique seule aurait dû nous maintenir sur la voie du nucléaire durable qui, grâce aux RNR de puissance, multiplie par cent sa durée d’exploitation tout en nous libérant d’un gaspillage inconsidéré de la matière fissile. Au lieu de quoi, aujourd’hui, des dirigeants de la filière se limitent à des spéculations sur le prix de l’uranium pour balayer d’un revers de main le sujet de l’épuisement de la ressource[6]. Or le choc d’uranium à venir est une réalité géologique qui s’imposera entre 2050 et la fin du siècle.

[...] Aucune filière industrielle ne peut se dispenser d’une telle analyse sur la ressource. En France, ce manquement est inacceptable alors que notre pays dispose sur son sol de plusieurs centaines de milliers de tonnes d’uranium naturel (appauvri) héritées de son histoire nucléaire, lui assurant des millénaires de production d’électricité s’il dispose de RNR de puissance. La France maîtrise par ailleurs des compétences rares de retraitement du combustible pour valoriser le plutonium nécessaire au démarrage de plusieurs RNR surgénérateurs[10] ! Enfin, recourir à ces ressources stratégiques l’affranchirait des risques géopolitiques grandissants d’approvisionnement extérieur. La pénurie est annoncée, non pas dans un ou deux siècles, mais deux ou trois décennies.
Dans ce contexte, comment accepter le report sine die du démarrage de RNR en France, quand la Chine, l’Inde, la Russie, le Canada, le Japon poussent les feux ?
Si gouverner est prévoir comment ignorer cette analyse quand les installations à réaliser nécessitent plusieurs décennies ?
Peut-on encore choisir entre l’arrêt du nucléaire, faute d’uranium fissile, et la poursuite sur des millénaires grâce aux RNR ? [...]

[6] Cf. Commissions d’enquête Sénat Production, consommation et prix de l’électricité - le 13 février 2024 - Table ronde « Nucléaire du futur – Enjeux et perspectives ».

[10] Un réacteur surgénérateur est capable de produire plus de matière fissile qu’il n’en consomme. C’est le cas du RNR si l’isotope fissile dans le combustible est le plutonium 239.