Le nucléaire durable n’est pas la fermeture du cycle

Le nucléaire durable n’est pas la fermeture du cycle

Les argumentaires en faveur des réacteurs à neutrons rapides (RNR) mettent souvent en avant « la fermeture du cycle », voire que le nucléaire durable serait la « fermeture du cycle ». Or, il faut bien comprendre que cela est faux. Pourquoi ?

« Durable » est la traduction de « sustainable » dans la définition qui lui a été donnée pour la première fois en 1987 par l’ONU : « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Une énergie « durable » doit donc s’entendre comme une énergie « économe de la ressource et minimaliste dans la production de déchets ».

Le nucléaire durable impose donc de fissionner tous les isotopes de l’uranium naturel (composé à plus de 99% d’uranium 238, non fissile, et à moins de 1% d’uranium 235, fissile) ce qui n’est possible qu’en utilisant des RNR. Dans de tels systèmes le cycle du combustible est intrinsèquement fermé ; il ne saurait donc être question de sa fermeture…. Le nucléaire durable est une fission opérée à cycle fermé.

D’où vient cette erreur maintenant si répandue qu’elle ne soulève aucune objection ?

La notion de « fermeture du cycle » est en fait d’apparition relativement récente. Elle est directement liée aux études et recherches sur la gestion des déchets nucléaires.

On la trouve pour la première fois au début des années 2000, alors que les Etats-Unis sont confrontés au risque de saturation de leur centre de stockage de combustibles usés à Yucca Mountain. Le projet, à la charge du DOE[1], prévoit le stockage direct des combustibles usés des réacteurs à neutrons lents[2] qui renferment la plus grande partie du plutonium du pays.

Face à la saturation prévisible de ce site, les Etats-Unis reconsidèrent le recours au traitement des combustibles afin de réduire drastiquement le volume des déchets. C’est l’objet du programme de R&D baptisé AFCI (Advanced Fuel Cycle Initiative) lancé en 2000 à l’Idaho National Laboratory pour les recherches sur la transmutation, et au Laboratoire National d’Argonne pour la mise au point de réacteurs à neutrons rapides dédiés au recyclage des déchets. L’objectif est de « fermer le cycle des REP » en recyclant l’uranium et le plutonium récupérés dans leurs combustibles usés, à l’aide de réacteurs de recyclage RNR spécialement dédiés à cet usage. Le concept de « fermeture du cycle » apparaît pour la première fois comme un objectif justifiant de développer des RNR afin de traiter les déchets des REP.

Dans des Etats-Unis hantés par les risques de prolifération du plutonium, la condition édictée par le Congrès pour un tel programme, est que l’uranium et le plutonium devront être extraits simultanément, sans être séparés. Dans ce contexte d’ailleurs, le procédé COEX[3] du CEA intéresse particulièrement le DOE.

A la même époque, la « fermeture du cycle » entre dans la terminologie de l’électronucléaire français comme solution pour optimiser la gestion des déchets nucléaires du parc existant : « Il est donc fondamental de réduire les volumes de déchets radioactifs et donc d’envisager la fermeture du cycle du combustible nucléaire, ce qui suppose le retraitement des combustibles usés »[4]. Enfin elle devient l’introduction axiomatique de défense du projet Astrid. La raison d’économie de la ressource, qui est première en matière de nucléaire durable, est passée au second plan, quand elle n’est pas perdue de vue. Insidieusement s’est développée l’idée que les RNR ne seraient que des compléments aux REP.

D’ailleurs, certains s’interrogent : est-ce bien raisonnable, vu leur coût, de faire des RNR pour gérer les déchets des REP ? De fait, pourquoi cette préoccupation, si comme on l’affirme la gestion des déchets nucléaires est déjà maîtrisée ? Toutes ces questions sont pertinentes dans un contexte où la notion de « fermeture du cycle » est venue brouiller la stratégie.

La « fermeture du cycle » ne peut être un objectif pour le futur

Le nucléaire tel que réalisé actuellement avec des REP, même si on lui adjoignait des réacteurs RNR pour fermer son cycle, resterait un nucléaire non durable car basé sur le seul uranium 235. Seule serait améliorée la gestion des déchets transuraniens par leur multirecyclage dans des réacteurs à neutrons rapides dédiés.

En revanche, le nucléaire durable nous impose de changer la ressource primaire et la technologie du réacteur. C’est une tout autre filière industrielle, qui ne recourt plus aux importations et à la mine, ni aux nécessités de l’enrichissement, puisqu’on utilise la totalité de l’uranium naturel.

Il est frappant de constater que, au tournant des années 2000, les réflexions sur les évolutions du parc des réacteurs français se sont focalisées sur les déchets et non sur la ressource. Le RNR y est présenté comme un complément des REP. Se font jour des rapports savants qui calculent le nombre de RNR à envisager pour résorber les stocks de Mox et d’uranium de retraitement accumulés par le fonctionnement du parc de REP… Comment ne pas s’interroger sur l’incapacité stratégique d’une filière qui se projette en fonction de ses déchets, sans jamais questionner son utilisation de la ressource primaire ?

Certes, l’objectif de « fermeture du cycle » peut rassurer les tenants du statu quo dans la filière actuelle. Cette ambivalence a d’ailleurs permis de remettre sur les rails le multirecyclage en REP, dont les scientifiques savent depuis fort longtemps qu’il est impraticable[5]. Finalement le doute a été semé sur Astrid, progressivement réduit à la fonction subalterne d’outil de « fermeture du cycle » des REP.

Nous conclurons sur l’urgente nécessité de bannir l’expression, tout autant que le concept fallacieux, de « fermeture du cycle ». Ce n’est certainement pas un objectif pour le futur, et pas davantage une priorité. Pourquoi vouloir optimiser la gestion des déchets de REP, quand l’urgence est au nucléaire durable ? Quelques décennies d’atermoiement suffiront pour que, fatalement, si nous persistons dans cette erreur, la « fermeture du cycle » aboutisse à la « fermeture du nucléaire », quand tout le combustible fissile aura été consommé.

[1] Département de l’énergie des Etats-Unis, qui sera chargé par une loi de 1982 de construire un centre de stockage, finalement décidé sur le site de Yucca Mountain.

[2] Le parc nucléaire des Etats-Unis comprend 95 réacteurs de type REP (PWR) et REB (réacteur à eau bouillante ou BWR).

[3] Le procédé COEX™, développé au CEA est une évolution du procédé PUREX (Plutonium Uranium Refining by Extraction), aménagé pour produire un mélange Uranium / Plutonium (U/Pu > 20%) et non plus du plutonium pur. Le procédé PUREX a été mis en service industriel pour la première fois en 1954 à l’usine de Savannah River aux Etats-Unis, mais jugé trop proliférant pour une utilisation civile. Utilisé en Belgique et en Allemagne, il a été mis en service industriel en France en 1985 dans l’usine de La Hague.

[4] Rapport Birraux-Bataille du 13 mai 2003 consacré à « la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs » - pages 217-222.

[5] Cf. « Le multirecyclage en REP est une impasse qui condamne l’électronucléaire »,
https://nucleairedurable.fr/le-multirecyclage-en-rep.html.

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