Réduire au minimum les déchets nucléaires

Seul le réacteur à neutrons rapides (RNR) permet de réduire au minimum les déchets nucléaires, parce qu'il fissionne toute la matière fissible.

Les déchets nucléaires sont souvent présentés comme le problème majeur de l’énergie nucléaire, justifiant à eux seuls, dans l’imaginaire collectif, qu’on s’interdise de recourir à cette ressource pourtant décarbonée, massive et pilotable.

On ne reviendra pas sur les solutions - qui existent - de gestion de ces déchets sauf pour constater que leur ignorance est un bon indicateur du degré de méconnaissance globale du sujet nucléaire chez celui qui parle[1]. En revanche on montre ici comment la fission nucléaire réalisée dans un réacteur à neutrons rapides (RNR) change radicalement la donne en matière de gestion des déchets nucléaires car elle supprime ceux dont les durées de vie sont les plus longues.

Pour bien comprendre l’intérêt des neutrons rapides dans la question des déchets produits lors du processus de fission nucléaire, il importe de faire la différence entre un noyau fissile et un noyau fissible.

Un noyau fissile fissionne sous l’impact de neutrons quelle que soit leur énergie et d’autant mieux que cette énergie est très faible (< 1 eV). Sur Terre, le seul noyau fissile qui existe encore est l’uranium 235, ce qui rend cette ressource particulièrement précieuse car aucun autre élément ne lui est substituable. On peut créer artificiellement de la matière fissile en réacteur comme le plutonium 239 mais il faut pour cela qu’une réaction de fission en chaîne ait été initiée et entretenue, ce qui est possible uniquement à partir de l’uranium 235.

Un noyau fissible est un noyau lourd susceptible de fissionner sous l’impact d’un neutron suffisamment énergétique se propageant à une vitesse du domaine de celles des neutrons éjectés lors de la fission (20 000 km/s soit une énergie d’environ 2 MeV). C’est précisément le domaine de fonctionnement d’un réacteur à neutrons rapides. Sous des flux de neutrons rapides, tous les noyaux lourds finissent par fissionner.

Le processus concurrent de la fission est la capture du neutron par le noyau qui se réarrange en interne pour devenir un noyau plus gros :

  • Quand le processus de capture domine celui de la fission - c’est le cas dans un réacteur à neutrons lents de type REP ou EPR car la vitesse faible des neutrons est favorable à la capture - la production de déchets est inévitable. Le processus de capture conduit à la production des noyaux transuraniens[2] (neptunium, plutonium, américium, curium…) dans un réacteur qui n’a pas la capacité de les fissionner. In fine, les déchets sont alors constitués des produits de fission et des transuraniens (plutonium et actinides mineurs). Ces déchets présentent une radioactivité importante et des périodes radioactives suffisamment longues pour qu’on soit obligé de les confiner dans des couches géologiques profondes, pendant le temps nécessaire à leur décroissance radioactive.
  • Quand le processus de fission est dominant - c’est le cas dans un RNR - la production de déchets de type transuranien disparaît, ce qui change complètement la donne en matière de gestion des déchets ultimes nucléaires, comme on va le voir dans les données présentées ci-après. Les RNR qui par conception, optimisent le processus de fission, réduisent les déchets ultimes aux seuls noyaux légers issus de la fission du noyau initial en deux morceaux. Ces résidus ont des périodes radioactives de quelques dizaines d’années et concentrent une large part de la radioactivité des déchets ultimes ; ils sont couramment appelés « produits de fission ». Ils s’apparentent aux « cendres » du processus de fission nucléaire.

Pour évaluer la durée nécessaire de stockage des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, on calcule la radiotoxicité potentielle de ces déchets pour la comparer au niveau de radiotoxicité de l’uranium naturel extrait de la croûte terrestre.

Les résultats de ces calculs réalisés par le CEA dans le cadre de la loi du 28 juin 2006 relative aux recherches sur la gestion des matières et des déchets radioactifs[3] sont représentés dans la figure ci-dessous :

Multirecyclage des transuraniens
Figure : le multirecyclage en RNR du plutonium et des autres transuraniens (courbe rouge) permet de ramener, en moins de 500 ans, la radiotoxicité des déchets ultimes au niveau de celle de l’uranium naturel. Le multirecyclage du seul plutonium (courbe bleue) ne suffit pas pour réduire la durée de la radiotoxicité qui reste dominée par les autres transuraniens.

La courbe représente un calcul de l’« inventaire de radiotoxicité » exprimé en sievert[4] par TWh, correspondant à la dose hypothétique que recevraient des individus ayant ingéré les matières radioactives considérées : cette dose est évidemment purement théorique mais elle permet de comparer les scénarios entre eux.

Le calcul prend en compte les contributeurs à l’inventaire des déchets de haute activité et à vie longue qui sont :

  • Le plutonium, premier responsable de la radiotoxicité à long terme. Il présente un grand intérêt comme combustible en RNR car son potentiel énergétique est très important ; de déchet qu’il est en REP, il devient ressource stratégique en RNR.
  • La composante des transuraniens hors plutonium, couramment appelés actinides mineurs, (neptunium, américium, curium) représentant la quasi-totalité de l’inventaire restant de radiotoxicité à long terme mais d’un ordre de grandeur plus faible (1/10) que le plutonium. Leur multirecyclage en RNR présente l’intérêt de les faire disparaître de l’inventaire des déchets ultimes et donc de réduire considérablement les périodes radioactives à considérer.
  • Les produits de fission à vie longue dont la contribution, après quelques siècles, apparaît faible du point de vue de la radiotoxicité. De fait, ces radionucléides s’avèrent être les plus mobiles dans une couche géologique comme l’argile et vont donc migrer potentiellement jusqu’à la surface du stockage avec un impact quasi nul sur la radioactivité induite en surface du stockage géologique. Passé 500 ans leur radiotoxicité rejoint celle de l’uranium naturel.

En revanche, en cycle ouvert, la radiotoxicité des transuraniens reste importante pendant des centaines de milliers d’années, ce qui est un frein à l’acceptabilité du stockage, quelle que soit la solidité des arguments scientifiques et techniques par ailleurs.

En conclusion

Comme cela est connu depuis le début de l’aventure électronucléaire, par conception, parce qu’il fonctionne avec des neutrons rapides suffisamment énergétiques pour fissionner les gros noyaux, le RNR minimise les déchets :

  • à l’amont du process en utilisant toute la matière première (uranium 235 et uranium 238) ;
  • à l’aval du process en réduisant les déchets ultimes aux produits de fission, qui sont en quelque sorte les « cendres » du processus de fission.

En effet, dans un RNR au fur et à mesure qu’on recycle le combustible, tous les noyaux fissibles fissionnent en produisant de l’électricité (uranium, neptunium, plutonium, américium, curium…). Dans un REP, la fission n’est réalisée que pour l’uranium 235 fissile ; le recyclage est dominé par la capture neutronique conduisant à la production sans cesse croissante de déchets transuraniens[5].

Remarque 1 : sur la notion de « fermeture du cycle »

En toute rigueur, la notion de « fermeture du cycle » disparaît pour les RNR puisque, par conception, ce type de réacteur fissionne toute la matière fissible.

En revanche, le multirecyclage en REP étant impossible, il est réaliste d’imaginer de recycler en RNR les déchets transuraniens et l’uranium 238 inutilisables dans un REP. Le RNR peut aussi devenir un outil pour la « fermeture du cycle » REP, mais ce n’est pas sa raison d’être.

Remarque 2 : pourrait-on envisager d’éliminer les produits de fission par transmutations ?

Les recherches sur la séparation-transmutation des produits de fission ou d’activation à vie longue (PFVL) ont été menées par le CEA dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991 qui a précédé la loi du 28 juin 2006.

En raison de leur grande mobilité dans le milieu géologique, les produits de fission à vie longue (principalement l’iode, le césium et le technétium) sont les premiers contributeurs à l’impact radioactif du stockage géologique profond. Bien que l’impact calculé de ces éléments sur la biosphère reste très en dessous de la limite réglementaire de dose, la loi du 30 décembre 1991 avait demandé qu’on envisage leur transmutation.

Les produits de fission n’étant pas fissibles – ce sont des noyaux deux fois moins lourds que l’uranium - on ne peut envisager de les transmuter que par capture neutronique, ce qui implique de recourir à des RNR pour des questions d’économies de neutrons. En effet, chaque fission dans un RNR donne naissance à au moins trois neutrons, alors que dans un REP le nombre de neutrons est limité à deux, plus rarement trois.

Cependant, les études ont montré que, même envisagée dans un RNR, la transmutation des produits de fission était irréaliste : recyclage sur des durées séculaires…, instabilité du composé à introduire en réacteur, transmutations en radionucléides indésirables etc.[6]

Compte-tenu de la disparition des produits de fission au bilan de la radiotoxicité, passé environ 500 ans, la loi du 28 juin 2006 a demandé qu’on concentre les recherches sur la transmutation des actinides.

 

Notes :

[1] Pour une présentation concise, voir par exemple « L’urgence du nucléaire durable » pages 129 et suivantes.
[2] Noyaux plus lourds que l’uranium, créés dans le réacteur par capture d’un neutron, processus dominant lors des impacts avec des neutrons lents. Les transuraniens font partie de la famille des actinides.
[4] Le sievert est l’unité de calcul de la dose reçue par le corps humain soumis à un rayonnement ionisant.
[5] Cf. la note « Le multirecyclage en REP est une impasse qui condamne l’électronucléaire », https://nucleairedurable.fr/le-multirecyclage-en-rep.html

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